Accueil A la une Youssef Zied Elhechmi, Professeur agrégé en Médecine Intensive Réanimation et co-fondateur de la start-up HOPE HORIZON, à La Presse : «La solution d’ordonnance médicale SmartCare sera gratuite pour les patients, les médecins et les pharmaciens…»

Youssef Zied Elhechmi, Professeur agrégé en Médecine Intensive Réanimation et co-fondateur de la start-up HOPE HORIZON, à La Presse : «La solution d’ordonnance médicale SmartCare sera gratuite pour les patients, les médecins et les pharmaciens…»

A l’origine de cette idée, une équipe composée de cinq jeunes Tunisiens passionnés de technologie et d’innovation. Leur rêve consistait à créer une solution, d’ailleurs la première à l’échelle arabe et africaine, capable d’éviter le risque de l’interaction entre deux médicaments, qui peut mener à des conséquences plus ou moins graves sur la santé d’un patient. Encore plus, SmartCare sera capable de révolutionner la manière avec laquelle on prescrit les médicaments et la manière avec laquelle les médecins travaillent en leur donnant un outil d’aide à la décision qui n’existe pas actuellement dans le monde. Le co-fondateur de la startup “Hope Horizon”, Youssef Zied Elhechmi, également professeur agrégé en Médecine Intensive Réanimation, développeur web et IA, diplômé en statistique, en entrepreneuriat de Harvard et en leadership de l’université du Michigan, nous en dit plus dans cet entretien.

Comment avez-vous eu l’idée de lancer cette plateforme ?

Cette idée émane de notre quotidien où on est confronté, chaque jour, à une autre facette d’une réalité qui peut effrayer n’importe quel citoyen : les fameuses erreurs médicamenteuses qui peuvent provoquer des effets indésirables —parfois graves— et qui se traduisent par confondre deux médicaments, se tromper de voie d’administration, prendre une dose trop importante…

En effet, selon une enquête que nous avons menée auprès d’un échantillon représentatif des médecins, on a constaté, qu’à plusieurs reprises, nos collègues commettent des erreurs de prescription des médicaments. Ou bien ils ne détectent pas qu’il y a une interaction entre deux médicaments, ou bien ils commettent une erreur dans la posologie d’un médicament (la quantité de médicament nécessaire chaque jour et à chaque prise), ou en ce qui concerne la durée du traitement… Mais le plus grave de tout cela, c’est l’interaction entre deux médicaments qui peut mener à des conséquences plus ou moins graves sur la santé d’un patient, étant donné qu’une interaction médicamenteuse se produit lorsqu’un ou plusieurs effets d’un médicament (effet thérapeutique ou effet secondaire) sont modifiés par un autre médicament. Le plus souvent, cette situation a lieu quand les médicaments sont pris dans le cadre d’un même traitement.

Parlons chiffres : en Tunisie, il y a au moins 6 mille médicaments qui sont commercialisés sur le marché local avec une moyenne de 50 interactions par médicament. Donc, au total, on parle d’une moyenne de 300.000 interactions sur l’ensemble des médicaments commercialisés sans évoquer les contre-indications et les problèmes de physiologie. On a aussi constaté que 50% des médecins se rendent compte, au moins une fois par an, qu’il y a eu une erreur soit dans la posologie, soit une interaction qui n’a pas été détectée, soit une contre-indication…

Cette situation nous met face à un constat accablant car c’est la santé des patients qui est mise en jeu. Mais sur terrain, il serait impossible de maîtriser cette situation par n’importe quel médecin ou un être humain. Et donc, le problème existe mais on ne pouvait pas le résoudre par l’apprentissage. Et comme je suis passionné par la technologie, depuis mon plus jeune âge et je continue toujours à croire qu’elle a le potentiel nécessaire de changer notre façon de penser et de vivre, j’ai terminé mes études en médecine, et puis je me suis tourné, de nouveau, vers l’informatique (développement web et intelligence artificielle) qui est en constante évolution et toujours porteuse de nouveaux défis.

C’est à partir de cette situation que ce défi est né, car une fois qu’on a résolu ce problème, cela va rendre service aussi bien au médecin qu’au patient qui ne va plus souffrir des effets indésirables et des interactions. D’où la naissance de notre startup “HOPE HORIZON”, qui est labellisée startupAct depuis mars 2021. Et puis on s’est lancé dans le développement des solutions à base de l’Intelligence Artificielle pour annoncer, aujourd’hui, le lancement de la solution “SmartCare”, sous forme de plateforme web accessible sur www.smartcare.tn, qui est la première solution d’ordonnance médicale en Tunisie, dotée de la technologie QRcode.

Comment fonctionne-t-elle et quelles sont ses missions ?

Au sein de cette plateforme, on a intégré tous les médicaments qui sont commercialisés sur le marché tunisien et puis on a intégré un algorithme capable de lire les notices de médicaments afin de déterminer les interactions avec une certitude supérieure à 95%.

Mais à part cela, on a constaté qu’il existe d’autres problèmes de taille et, à travers cette solution, on essaye de les résoudre un par un. A titre d’exemple, l’un des problèmes majeurs qui s’imposent est la sécurité du patient. En effet, le constat n’est pas nouveau mais il est récurrent : le risque de fausses ordonnances ou de falsification d’un certificat médical est très élevé dans notre pays. Ce sont des pratiques accompagnées par d’autres risques, à l’instar de la consommation abusive, de mésusage ou de détournement de médicaments. Et donc, la solution SmartCare sera une arme efficace pour réduire ces risques de falsification, étant donné que chaque ordonnance éditée par l’application se dote d’un QRcode qui ne peut être flashé que par l’application. Même le pharmacien ne peut pas le flasher par un QRcode standard, il doit installer l’application pour pouvoir flasher le QRcode. Et donc, c’est une fiabilité supérieure à un simple cachet… Il est vrai que la réglementation actuelle oblige les médecins à éditer des versions papiers, mais on espère qu’à travers ce QRcode, les décideurs vont être convaincus par l’utilité de cet outil et qu’on peut utiliser des versions entièrement électroniques qui sont plus sécurisées.

L’autre élément le plus important pour nous, c’est qu’on est dans une zone d’innovation et cette solution n’existe pas dans notre pays ni dans le monde arabe. A l’échelle internationale, il existe quelques pays (deux ou trois) qui ont des solutions proches de la nôtre mais qui n’ont pas les mêmes caractéristiques, étant donné que la solution SmartCare est capable de faire un diagnostic automatique sur le risque de l’interaction au même moment où on choisit les médicaments, ce qui est une innovation en soi.

A cet égard, si cette solution est adoptée par une majorité de patients et de médecins, on compte, d’ici 12 mois, intégrer de nouveaux modèles d’intelligence artificielle qui seront un outil d’aide à la décision pour le médecin pour lui dire que tel profil du patient répond favorablement ou non à un tel médicament. Cela permet d’augmenter la chance de succès d’une thérapie, de créer un modèle de prédiction des effets indésirables suite à l’historique médicale et aux données du patient… Cela va aussi révolutionner la manière avec laquelle on prescrit les médicaments, la manière avec laquelle les médecins travaillent en leur donnant un outil d’aide à la décision qui n’existe pas actuellement dans le monde. Ça va améliorer encore plus la prise en charge des patients.

Outre le fait de se sentir plus en sécurité, cet outil facilite donc le quotidien du patient…

Absolument ! En effet, grâce à SmartCare, toutes les ordonnances du patient sont devenues accessibles à travers cette solution et ce dernier ne se sent plus obligé de prendre avec lui une série de papiers à chaque fois qu’il a une visite médicale ou autre. On évite aussi le risque de perdre l’une des ordonnances… Ce sont toutes des informations très importantes, surtout dans un contexte d’urgence où le médecin, à travers un simple clic, aura accès direct et sécurisé à l’historique médical du patient pour prendre la bonne décision en peu de temps.

Cette application permet aussi aux patients de gagner énormément de temps. On n’aura pas besoin de se déplacer à chaque fois à une agence pour entamer les procédures de prise en charge par la Cnam. A travers cette application, on peut fournir toutes les données, de manière sécurisée et fiable, à l’assurance du patient (Cnam ou assurance privée) avec un processus totalement électronique, qui sera un outil beaucoup plus rapide, avec une qualité qui sera beaucoup plus performante. Idem pour les pharmaciens qui vont travailler avec plus de sérénité, tout en évitant les ordonnances falsifiées.

De l’autre côté, une autre réalité s’impose ; tout changement dérange. Comment comptez-vous convaincre les patients pour adopter cette solution ?

Certes, tout début est difficile, mais avec les nouvelles technologies et une génération assez jeune, la donne a changé aujourd’hui. En effet, pour le patient tunisien, on a, quand même, une intégration assez importante en terme de connexion au réseau Internet, que ce soit via smartphone ou via les ordinateurs. On a aussi une population jeune et qui est attirée de plus en plus par la technologie. Donc, offrir une telle solution à cette population ne sera pas un combat de longue haleine. Cela est encore vrai aujourd’hui car, après cette crise sanitaire qui a bouleversé notre vie, la santé est devenue la priorité des priorités pour chaque citoyen.

Est-ce pareil pour les médecins ou y a-t-il d’autres difficultés qui s’imposent ?

Au contraire, on a eu beaucoup de retours positifs de la part des médecins. Déjà depuis mars 2021, date du lancement de la solution, à nos jours, pas moins de 400 médecins se sont inscrits sur la plateforme et qui ont, bel et bien, utilisé SmartCare.

Mais de l’autre côté, on espère que le ministère de la Santé aurait un rôle à jouer dans ce cadre-là pour appuyer l’utilisation de cette application qui permet plus de sécurité pour le patient et le médecin. Pour ce faire, on est en contact préliminaire avec le Conseil national de l’ordre des médecins pour des accords de partenariat, et on espère qu’on pourrait collaborer ensemble avec les assurances pour que cette solution soit utilisée par la Cnam afin de faciliter les services aux patients.

Une fois que tout cela est fait, quelle est votre vision pour la commercialisation de ce produit ?

Pour les médecins, les patients et les pharmaciens, la solution va être gratuite. Notre Business Model est basé sur la vente des services pour le secteur des assurances qui rencontrent beaucoup de problèmes au quotidien. On espère les convaincre pour adopter cette solution qui va rendre leurs services plus rapides et plus efficaces, ce qui impactera directement le patient qui sera remboursé rapidement, qui gagnera du temps, qui évitera les longues queues d’attente…

Quelle sera votre prochaine étape et quelle est votre lecture du futur proche ?

Des demandes pour des entretiens ont été envoyées au Conseil national de l’ordre des médecins et à la Cnam où les responsables ont été agréablement surpris par cette solution. Mais, avec la Cnam, on n’a pas encore avancé car il y a toujours cette bureaucratie et cette complexité au niveau des procédures administratives. Mais on ne compte pas baisser les bras et on avance toujours.

On a aussi besoin de l’intervention du ministère pour collaborer avec les hôpitaux pour autoriser l’utilisation de cette application. Et pour les cliniques, on en a déjà contacté quelques-unes sur le Grand-Tunis qui sont très intéressées par notre solution.

Pour le futur proche, on compte avancer sur des pas lents mais solides. En effet, en Tunisie, il existe près de 20 mille médecins et près de 10 mille résidents. Donc, au total près de 30 mille prescripteurs. D’ici la fin de l’année, on table sur 15% de parts de marché parmi ces 30 mille alors que d’ici fin 2023, on vise les 45% de parts de marché, sachant que 80% seulement des médecins travaillent, actuellement, avec des ordinateurs.

De l’autre côté, d’ici fin 2023, on va aussi intégrer l’intelligence artificielle dans notre solution et on compte conquérir d’autres marchés à travers l’expérience de la Tunisie qui sera une vitrine pour nous. On va commencer par les marchés de proximité (Maroc, Algérie, Libye, Egypte, Turquie…) et puis on visera certains pays africains qui ont besoin de notre technologie car ils ont les mêmes problèmes que nous et d’autres de faux médicaments et de contrefaçon qui leur posent beaucoup de problèmes de santé. Et donc, notre solution peut leur donner la traçabilité nécessaire pour réduire ce risque. Ensuite, on vise l’international, notamment les marchés de l’Union européenne et ceux de l’Amérique du Nord. 

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Un commentaire

  1. Fatnassi Abdallah

    25 juin 2022 à 18:17

    Ce système ou son équivalent existe déjà en Suisse. Pour autant que vous achetez vos médicaments à la même pharmacie, vous y êtes enregistré et le système détecte automatiquement les interférences entre les médicaments qui vous sont prescrits.
    Le médecin prescripteur, en introduisant dans votre dossier médical informatisé les prescriptions, est alerté lors d’une éventuelle interférence ou même contre indication de prescription.

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